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Représentations d’architectures fuyantes, d’intérieurs baroques désintégrés, d’artefacts comme le miroir, brèches dans l’agencement des apparences, effets de peinture, sont autant d’échappées du réel qui ont amené progressivement Fu Site à une peinture qu’il décrivait déjà lui-même empreinte d’une « ambiance lynchéenne ». Des projections qui donnaient à voir une traversée mais qui, dans le nouveau corpus d’œuvres présenté en janvier 2022 à la Galerie PARIS-B, est devenue plus immédiate au point que chaque toile est déjà elle-même, et dans son entièreté, un au-delà, un théâtre où est peinte, comme le dit Mallarmé, « non la chose mais l’effet qu’elle produit.2 » Fu Site a ressenti la nécessité après l’exposition Disrupted Narrative (Galerie Paris Beijing, 2017) de changer sa manière de travailler en s’éloignant d’une conception académique de la peinture, à la fois parce qu’elle ne lui convenait plus etaussiparce qu’elle le limitait dans le ressenti plus émotionnel qu’il voulait donner à ses œuvres. Cet impératif de reconfigurer entièrement sa peinture s’est appuyé sur une interrogation, celle des relationsqu’entretiennent dans l’histoire de la peinture et dans son propre travail, figuration et réalité, se demandant si l’une était assujettie à l’autre et dans quelle mesure. 

 

Une scène de fiction, née de l’imaginaire, constituée de fragments assemblés nécessite-t-elle des repères du réel, spatiaux et temporels, pour conserver une cohérence ou pour employer un vocabulaire de peintre : « tenir debout » ? Les premières expérimentations de Fu Site lui ont montré que la figuration était capable d’autonomie, qu’elle pouvait s’affranchir des repères, murs, sols, points de fuite, sur lesquels l’œil cherche à s’appuyer pour évoluer dans un espace, même si le chemin pour arriver à une totale libération est ardu. Ayant longtemps travaillé sur des environnements « échafaudés », il lui a fallu déconstruire et reconstruire, non seulement la toile qui est toujours plus qu’un simple agencement d’éléments, mais le processus de création en lui-même, cette construction mentale qui fait que chaque artiste développe une œuvre qui lui est unique. Il a dû inventer un nouveau langage pictural, débarrassé des pesanteurs du réel et apte, dans sa forme poétique, à accueillir toujours plus de mystère. Une période de recherche et de remise en question de plus d’un an, pendant laquelle il nous dit avoir beaucoup lu et s’être nourri de l’influence de textes philosophiques, de mysticismes orientaux et occidentaux. Des lectures spirituelles qui ont renforcé cette distance avec le réel et ont favorisé une entrée de son travail dans l’abstraction. En effet, le processus a d’abord commencé par une rupture forte, au plus loin de ce qu’il avait pu jusqu’alors produire, celle de l’expérimentation de motifs totalement abstraits. De nouvelles approches qu’il a expérimentées tant sur la forme que sur la technique. Devant l’impossibilité de se rendre à son atelier en raison du confinement, il a commencé à travailler sur une tablette numérique pour agencer des formes imaginées. Un outil qui lui a offert de nombreuses possibilités, lui permettant de procéder à des découpes, des superpositions, des collages, des effacements ou des fusions d’éléments. Des essais de mises en espaces, d’associations sur lesquels il s’est appuyé pour ouvrir son travail à plus de liberté. Des assemblages s’avérant assez compliqués, parfois bien plus qu’il ne le voudrait si bien qu’à ce stade de ses recherches, il nous avoue avoir eu des difficultés à le reconnaître comme « œuvre », le considèrant avant tout comme une prospection dans l’inconnu, tant sur lui même que sur sa peinture.

 

À un contenu nouveau doit nécessairement correspondre une forme nouvelle. L’artiste doit tout inventer ; il doit se lancer à corps perdu dans l’inconnu, rejetant les préjugés, y compris, à mon sens, l’étude des techniques et l’emploi de matériaux considérés comme traditionnels.

Antoni Tàpies, La Pratique de l’art.

 

Fu Site a progressivement pu faire disparaître les géométries sur lesquelles reposait la construction des toiles pour les animer de mouvements amplifiés parfois contradictoires. Les figures peintes avaient enfin la possibilité d’exister par elles mêmes. Certains motifs déjà exploités resurgissent dans des configurations complètement inédites pour développer entre eux de manière parfois surprenante des accointances nouvelles.

 

La seule chose que l’on peut faire quand on travaille avec son inconscient est de le laisser agir.

 

Cette période transitoire a été un passage obligé qui l’a amené à ce corpus d’œuvres nouvelles présentées à la galerie PARIS-B au début de l’année sous le nom de « Jeux de créatures ». L’aboutissement de sa recherche a été possible parce qu’il a réussi à définir plus précisément ce qu’il cherchait. Il dit avoir voulu atteindre en suivant à l’aveugle cette voie tout en se fiant à son intuition, « une sorte d’État premier de l’être et même peut-être des formes de manifestations primitives ». Il a pu mettre à jour des liens entre ses anciens et ses tout derniers travaux, notamment par sa palette de couleurs avec à nouveau la présence de gris et de rose, mais aussi dans la mise en mouvement, certains collages ou superpositions. Cette recherche lui a permis de donner une dimension plus sensitive à ses œuvres, dans une perspective telle qu’a pu la développer la peinture dite Naïve. Ses travaux picturaux laissent désormais une large place à des formes organiques parfois non reconnaissables au point qu’elles paraissent complètement inventées et, quand elles sont identifiables, perdues dans la fusion avec d’autres, elles s’effacent dans le mouvement, ou sont masquées ou camouflées, ne s’ancrant jamais véritablement dans la toile. L’étude des fresques de Bronzino et des tableaux de Rubens, et plus particulièrement une de ses scènes de chasse, a rendu possible un autre regard sur la peinture. Il en étudie les parties abstraites, quand le peintre cherche lui-même à dissoudre la représentation pour donner à la figure une vie intérieure, un sentiment véritable. Fu Site dit avoir ressenti ce besoin d’atteindre un état émotionnel fort, une forme de sensualité, parce que pendant longtemps il a amené trop de raison et de construction à ses oeuvres. Il a voulu retrouver une réflexion sur l’humanité, œuvrant pour que circule à nouveau une forme d’énergie entre les éléments, que celle-ci les unisse par une sorte de magnétisme mais aussi, parce qu’elle les irradie, les donne à voir dans toute leur immanence. Les figures, détachées du réel, sont l’expression sublimée de cette transsubstantiation des formes par la peinture.

 

Aucune intention, pensée conceptuelle ou encore thèse spécifique, ne guide son travail, les éléments qui viennent s’y ajouter s’interpellent entre eux, l’un amenant l’autre dans son sillage. Il explique avoir « besoin de laisser venir les choses de l’intérieur, de manière non contrôlée ». Une façon de travailler qui laisse libre cours à l’imaginaire et s’alimente des associations fortuites que seul l’inconscient rend possibles. Ses toiles, par le caractère flottant des éléments, par le caractère incontestablement aléatoire des figures qu’elles réunissent, développent une profondeur « psychique » qu’il n’avait jusqu’alors jamais atteinte. L’utilisation de la tablette rend possible ce jeu de composition, cette succession de collages et de reconfiguration qui aboutit à la composition finie. L’empreinte pourtant immatérielle de ce mouvement de création digitale reste profondément présente dans la toile. Elle est traversée de multiples champs de forces, s’anime de toute part, et poursuit une vie incontrôlée au point que souvent s’imaginent des hors champs tout aussi mouvementés.

 

Interrogé sur ce caractère mouvementé, Fu Site avoue avoir gardé un côté romantique et aimer la peinture baroque, le caractère dramatique, la mise en scène. Un maelström plus qu’un chaos qui est accentué par la présence de lignes dessinées qui sont annonciatrices d’un point culminant dans l’intensité. Les œuvres sont ainsi la représentation d’une acmé ou d’un dénouement. Il retrouve là un principe majeur de ses compositions antérieures, l’acmé trahissant un déséquilibre qui doit être retrouvé. Tout dans la toile participe à recouvrer cet équilibre, les oppositions de techniques qui font coexister des figures vaporeuses et d’autres plus en matière, des aplats et des tracés, des variations chromatiques. Le travail sur la variation des échelles concourt à ouvrir l’œuvre à d’autres possibles. Fu Site est d’ailleurs très soucieux de laisser au regardeur l’opportunité de pouvoir s’engager dans un espace qui doit le libérer de sa condition d’être réel pour le « déplacer » dans un environnement ouvert. En effet, réside dans les œuvres un pouvoir d’attraction qui exprime une perte de gravité rendant possible un détachement du réel. Il est vrai que les êtres, les formes, végétales ou organiques, donnent le sentiment d’avoir été non déposées dans l’espace de la toile, mais insufflées. Un souffle vital, empreint de légèreté, fécond, serein, dont on semble avoir été privé et devenu là à nouveau possible. Peut-être est-ce justement le travail du peintre, cette capacité de dilater l’instant pour accueillir dans un même espace tout l’univers qui s’étend en dehors de la toile, une sorte d’extension infinie apte à faire une place, dans une sorte d’« idéalisme magique1 », à un « je suis » réinventé ?

Texte par Point Contemporain 2022

 "The Game of Eternal Becoming" 

Fu Site’s extraordinary paintings resemble an escape from reality into a dream realm of the imagination, a fantastically surreal hemisphere, and yet, nevertheless, they unconsciously touch on reality. Seeing them, one has the intense impression that the painter, who was born in Liaoning in 1984 and lives in Paris today, relinquishes the guidance of his hand to hallucinations that, out of paint, “lie into truth” (Louis Aragon) ambivalent transitional visions. Inasmuch as he often begins by first intuitively composing a shape or drawing fragments that set off a chain reaction, indeed, a true flood, of associations - of emotions too - his method can still be best described as the Écriture automatique of the surrealists. Only with the subtle difference that he balances the endless possibilities with, among other things, the aid of a computer software program, and, through it, produces a contemporary, incomparable visual impression.

 

Deprived of both a classification and being accessible through terms and definitions and unequivocal readability, they oscillate gently and with audacious lightness between figuration and the non-representational in such a way that we are unable to clearly fathom either. So much so that we involuntarily puzzle over whether anything at all is represented there, or whether what we think we can recognize is once again in the process of disintegrating, in order to quickly to become something else.

 

The subtle way that Fu creates the interplay of shapes, as cheerful as they are colourful, and how he has them correspond with each other, demonstrates his proximity as a painter to film, and how he commits to a close liaison with the medium of the moving picture, by setting aspects of the image in motion and exploring the eternal process of their wondrous metamorphosis. That he has read Friedrich Nietzsche, the radical philosopher who praises eternal becoming and therefore transcendence, is evident. Equally so, his obsessive closeness to or rather fondness for Francis Bacon, who deformed and warped the shape of bodies in such a way that they appear as if they are transforming in just this moment. It is no doubt this aesthetic transformational effect Fu is interested in when he pursues a total fusion of the figurative and the abstract. This leaves us uncertain over what was there first: the abstract or the figurative form? The strange condition of these creations with something ghostly about them, taken from organic shapes and composed of fragments, symbolize for the painter, as he says, “the manifestation of a potential power of incarnation”. This is because for Fu, who graduated from Tsinghua University in Beijing in 2006, everything is constantly in flux. For him, there can no more be a standstill than there can be an end, as it signifies a new beginning.

Everything in these pictures, which let us associate human and non-human beings in an extraplanetary sphere of weightlessness and bring to life mysterious relations between half-named and unnameable objects, appears to be of equal validity. There are no hierarchies whatsoever. In front of us are shapes that are transparent as well as impenetrable, as if created out of glass, which seem to dance with each other, to mingle, interlock and merge, only to once again come undone. There, in front of us, a cloudlike, still amorphous shape mutates into the teeth of an animal, which could equally well be a running horse with a tail or a monster from a science fiction world, and a human arm, stretched towards the sky, protrudes out of a red shape that we perceive as a garment in such a way that we think we see before us a figure with a missing head. Other shapes have the appearance of a wing which reminds us of Icarus’ futile attempts at flight. And a “woman in black,” who keeps her right hand open, stands in an empty room that abstract shapes flutter through like birds.

 

The coexistence and dialogue between the figurative and the abstract illustrate that the painter is an obsessive raconteur, knowledgeable about mythology, who, when he elevates the transition between the nameable and the unnameable to his subject, reports on evolution and suggests stories that are unutterable. He is a master at allowing atmospheres of the unreal to develop that activate the collective unconscious and send us on the fantastic journey between image, association, emotion, consciousness, and visual experience.

 

Texte by Heinz-Norbert Jocks , 2021

"Fictions in Fragments"

In the body of work on view, Fu presents a series of highly rendered tableaux that depict an etherial array of supernatural scenes. Drawing from Western architectural and art historical motifs, each painting ebbs and flows with a dreamlike temporality, slipping between emotional and illustrative states. Idealized Baroque design is delicately woven with romantic landscapes and modernist interiors, confusing interior and exterior space. These romantic, Occidental tropes are frequently subverted however, exposing fissures from which an uncanny mystery permeates. Often expressed as natural events like smoke, lightening, waves — these moments disrupt the revery and make-way for pure abstraction. Fu’s work deals in the transition between modes; from representation to paint on canvas. Delicate photo realism recedes behind a rough smear of black acrylic, or sporadic, strange stick-like forms that spider across the canvas like bolts of lightening. Such shifts give rise to the uncanny, a state of haunting alienation and the unknown.

 

Derived from the German ‘unheimlich,’ the uncanny depends on the familiar in order to achieve its elusive un-homeliness. In this space, unmoored from the familiar and domestic representations by tumultuous events, the viewer can come full circle from the fragments of fiction to what is before them; paint on canvas.

 

Fu Site was born in the Liaoning Province, China in 1984. He graduated from Tsinghua University in Beijing (2006), the Ecole des Beaux-Arts in Versailles (2011) and the Ecole Supérieure d’Art du Nord Pas de Calais (2014). Having lived one third of his life in France, Fu’s work grapples with the romanticization of western cultural signifiers.

Kylin Gallery 2021

A complex assembly of shadows and reflections, human presences, images of interiors and natural landscapes, Fu Site’s pictorial language borrows the codes of the oneiric world, to give life to scenes that open the field of interpretation By subtly combining fragmented images and overlapped narrative layers, Fu Site knows how to provoke a certain ambiguity on our perception of time, depriving the scene of any logical coherence.

Like memories or spectres, his enigmatic anti-heroes softly appear on the turbid surface of the canvas: they inhabit space without really belonging to it. Their juxtaposition with baroque decorations and, more recently, contemporary interiors, whose elements are sometimes barely suggested, plunges the viewer into an ongoing story with multiple denouements

"Disrrupted Narrative"  

 Galerie Paris-Beijing 2017​

"Politatien"  

Realized between 2013 and 2014, the series Politicians is his most recent. It evokes the complexity – and even the cruelty – of contemporary debates and political battles, creating scenes in which evanescent male figures argue, discuss or simply find themselves in strange situations. Behind the curtains of a waiting room, between the veils of a canopy or in the reflection of a pool, troubling scenes emerge, as if insidious truths were hiding under an apparent calm.

Site Fu’s canvases seem to superimpose the layers and time of the narrative, introducing a psychological dimension to the space. Hallucinatory visions rear up in the immobile décor like traces or snippets of memories or fantastical presences. A perfectly mastered use of mixed media – China ink, pencil and oils – allows Site Fu to play with the spatial layers to introduce a blurred temporality.

This young Chinese painter’s references range from Goya to Francis Bacon to romantic painting. In his works, we find a fascination for shadows, allegories, fantasy and the unconscious. The disequilibrium in the composition and framing, the very dark color palette with nuances of ochre and grey and the tortured figures bent into the texture of the canvas evoke these artistic references.

Site Fu also loves cinema: he admires David Lynch and says he’s very influenced by the “seventh art”. He composes his paintings with a pronounced taste for mises en scène, making use of framing techniques borrowed from cinema such as freeze frames. The moments are therefore fixed on the canvas, creating a feeling of expectation as if they were suspense-filled fragments from a film.

Site Fu was born in Liaoning (China) in 1984. He earned his diploma from the University of Tsinghua/Beijing (2006) and the Versailles School of Fine Arts (2011). This young and talented painter has won numerous prizes and awards, including the Canson Prize in 2013. His work has been shown in solo and group exhibitions in China and France, where he lives and works today.

 

 Galerie Paris-Beijing 2014
 

 

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